Il a remporté pour la France le marathon des jeux olympiques d'Amsterdam en 1928 et pourtant presque personne ne le connaît aujourd'hui.
Enterré au cimetière de Bobigny, El Ouafi Boughera court encore après la renommée que la France coloniale lui a refusée.
Sur sa tombe du cimetière musulman de Bobigny, il faut chercher la référence à un quelconque exploit.
Un galet, posé sur la stèle, porte sobrement une inscription, assortie des drapeaux français et algérien: "El Ouafi Boughera, champion olympique du marathon en 1928. Ne l'oublions pas".
Pour un peu, il s'excuserait presque de son exploit, car c'est une authentique prouesse réalisée par cet athlète, né en 1898 à Ouled Djellal dans l'Algérie française de l'époque et arrivé en métropole en 1923.
La France l'aura bien vite relégué aux oubliettes de l'histoire.
Le 5 août 1928, ce poids plume à la foulée aérienne entre en effet en conquérant dans le stade d'Amsterdam. En 2 heures 32 minutes et 57 secondes, il s'offre le marathon olympique, devenant alors le deuxième Français, seulement, à réussir cet exploit, après Michel Théato (1900).
Une photo, immortalise le moment où l'on voit le jeune marathonien, dossard 71 en bandoulière et coq sur la poitrine, célébrer sa victoire. La France ne saura s'en souvenir que le temps d'un titre qui lui évite de faire chou blanc au tableau des médailles.
Passés les honneurs du protocole, El Ouafi, manoeuvre chez Renault avant son exploit, retourne aussitôt à ses bancs de montage. Pire, après son titre olympique, le Comité Olympique Français ordonne l'exclusion de l'athlète, parti courir aux Etats Unis contre de l'argent,(ce qu'il ne disait pas, c'était qu'on l'avait fait courir dans des cirques !) et donc coupable d'avoir enfreint les sacro-saintes règles de l'amateurisme.
Après son retour d'Amérique, c'est retour à la case départ pour le coureur français.
L'exploit d'un exploité
L'histoire de cet homme aux semelles de vent croise très souvent celle du département de Seine Saint Denis. A Saint Ouen d'abord où il travaille de nombreuses années chez Alsthom comme peintre au pistolet. A Stains ensuite où, après avoir été victime d'un accident de la circulation.
Le roman d'une vie
En 1956, nouveau rebondissement: Alain Mimoun, Français d'origine Algérienne comme lui et fraîchement sacré champion olympique sur le marathon, tient absolument à l'associer à son triomphe.
C'est donc accompagné d'El Ouafi qu'il se présente devant le président René Coty.
Dramatique, la vie d'El Ouafi le sera jusqu'au bout. Le 18 octobre 1959, l'ancien marathonien meurt en même temps que sa soeur dans des circonstances troubles, tué par balles au premier étage d'un café-hôtel de la rue du Landy à Saint Denis. En pleine guerre d'Algérie, la piste d'un règlement de comptes entre mouvements indépendantistes algériens paraît la plus crédible.
Si certaines blessures ne se referment jamais, quelques zones d'oubli ont au moins pu être comblées. Pas toujours très charitable avec son enfant, la France et plus particulièrement la Seine-Saint-Denis a su entre-temps se rattraper. Un gymnase à La Courneuve et une avenue aux abords du Stade de France portent désormais le nom d'El Ouafi Boughera.
Par Christophe Lehousse