Sud Ouest
Lot-et-Garonne, mardi 10 avril 2007, p. 17
« J'en ai été malade »
«Sud Ouest». Revenons tout d'abord à l'annonce, début janvier, de la non-reconduction de votre contrat (1). Trois mois plus tard, comment l'analysez-vous ?
Loïc Van der Linden. C'est le métier. Ce «au revoir et merci» fait partie de la règle du jeu, tout simplement.
Concrètement, quelle fut votre première réaction ?
Je me suis dit : «Tiens, c'est bizarre!» Quinze jours avant, Didier Faugeron (NDLR: non consulté lors de son éviction) me disait que tout allait bien. Qu'en quatre ans, c'était la première fois que ça se passait aussi bien avec son adjoint. Sportivement, le groupe progressait, on me faisait même des compliments sur la touche, par exemple.
Il semblerait que le problème soit plutôt relationnel. Disons affectif.
Oui. Pour que la mayonnaise prenne, il faut de l'affectif, certes, mais aussi une relation de confiance. Sans cela, il est difficile que les joueurs adhèrent...
Racontez-nous votre première rencontre avec l'équipe en fin de saison dernière.
C'était juste avant qu'ils partent en vacances. Je les ai vus une heure seulement, tous ensemble, alors qu'il aurait fallu faire des entretiens individualisés. Pour faire connaissance et pour expliquer comment je comptais travailler. Malheureusement, cette présentation n'a pas eu lieu par manque de temps.
Et lors du stage de juillet à Font-Romeu, il n'y a pas eu de rapprochement entre les joueurs et vous ?
En stage, tu bosses beaucoup, tu crapahutes, tu es lessivé. Et puis les joueurs sont entre eux. Avec Didier (Faugeron), on a surtout profité de ces moments pour observer le groupe, voir d'éventuels leaders se dégager, mais ce n'est pas lors de ce stage que tu peux vraiment découvrir les joueurs. En plus, les Sud-africains (Badenhorst, Van Niekerk, W. Stoltz) n'étaient pas là, Kees Meeuws non plus. Ce manque de communication a donc commencé très tôt.
Et les premiers entraînements ?
Les garçons se regardaient en chiens de faïence. Ils préféraient faire comme ci, comme ça... Là, tu te grattes la tête. Ils s'observaient, ne se lâchaient pas. Je les sentais sur la réserve, ils étaient dans le doute et arrivaient tristes à l'entraînement.
Vous pensiez que l'après Lanta serait aussi délicat ?
Je croyais que les joueurs avaient tiré un trait sur le passé. A un moment donné, il faut faire le deuil, baisser la tête et foncer. Ce ne fut pas le cas.
C'est un peu comme dans les familles recomposées, lorsque le beau-père doit se faire accepter par les enfants.
Il y a de ça, oui. Et pour se faire accepter, pour que les enfants acquièrent de nouveaux repères, il faut du temps. Mais dans le rugby pro actuel, tout va très vite.
Avez-vous l'impression d'avoir été un bouc-émissaire ?
Je ne me pose pas la question. Je sais ce que je vaux et puis, dans la vie, il faut savoir rebondir. J'ai reçu des soutiens venant d'amis ou, par exemple, d'un ancien entraîneur du SUA (NDLR : dont il ne veut pas révéler le nom). Ils me disaient que je faisais du bon travail. Ces témoignages me remontaient le moral. Contre Mon- tauban ou le Leinster, on prend quand même cinq ballons en touche. Ce n'est pas rien.
Et les problèmes de la mêlée à Montauban lors du dernier déplacement ?
(Il sort une feuille). Regardez la liste des premières lignes. Entre les blessés et les sélectionnés, il ne me restait, pendant la trêve, qu'Alessio Galasso, Laurent Cabarry et Jalil Narjissi. Comment voulez-vous bosser dans ces conditions ? Après, concernant toutes nos défaites à l'extérieur, je vous dirai tout à l'heure pourquoi c'est comme ça.
Revenons aux problèmes relationnels. Comment le viviez-vous au quotidien ?
J'en ai été malade. Depuis, moralement, ça va mieux.
Vous en parliez avec Didier Faugeron qui, lui aussi, était loin de faire l'unanimité ?
Pas vraiment. On ne peut pas se permettre de faire le psy. On a assez de boulot comme ça avec les soucis du terrain. Et si un coach est déprimé et le montre, forcément, ça rejaillira négativement sur le groupe.
Et avec votre femme et vos deux enfants ?
Ils sont restés à Brive (NDLR : son épouse tient un magasin) donc je ne rentre que le dimanche. La semaine, je vivais à fond là-dedans. Matin : Armandie. Midi : je rentre manger. Après-midi : Armandie. Et le soir : télé. Ce n'était pas évident, mais j'essayais de laisser ma famille en dehors de ça. Même s'ils ne sont pas dupes... Si le seul jour où vous voyez vos proches, vous faites la gueule, vous pouvez déjà prendre rendez-vous avec un avocat... (sourire). Heureusement, ma femme est compréhensive. Vous savez, quand vous êtes entraîneur, vous êtes très égoïste.
Vous parliez de rebondir. Avez-vous des pistes ?
Je ne sais rien là-dessus. Sauf que le niveau m'importe peu (NDLR : il a entraîné en Fédérale 1 et en Pro D2 avant de signer au SUA). Cette excitation, cette pression, je la recherche toujours. Idem concernant cet affectif avec un groupe, même si, ici, ça n'a pas fonctionné.
La pression, en tant qu'entraîneur, vous la supportez comment ?
Quand on est joueur, c'est plus simple de se vider. Donc, depuis que je suis coach, je fais comme ça... (il rit et montre son café et son paquet de cigarettes).
Vos bons souvenirs à Agen, ça ressemble à quoi ?
J'ai quand même eu des tapes dans la main et quelques sourires. Je pense à Jalil Narjissi à qui j'ai fait modifier le lancer. Je pense à Matthieu Lièvremont qui fait peut-être la plus belle saison de sa carrière. A Colin Yukes aussi. Il y a plusieurs mois, je lui avait dit qu'un jour, il prendrait une balle à une main en touche et qu'avec l'autre, il pourrait presque faire coucou à la tribune populaire. Et lors d'un match regardé à la vidéo, c'est exactement ce qui s'est passé (il rigole). Là, il m'a sourit et m'a dit : «Hé oui, je sais!» Il y a Kirill (Koulemine) également. Il manquait de confiance sur les renvois et face à Castres, avant Noël, il me fait un 4 sur 4. Tout ça, ce sont de bons moments.
Qu'avez-vous surtout appris de cette expérience agenaise ?
L'importance de la politique, de la communication et du «relationship». Mais ce n'est pas trop mon caractère. C'est la première fois que ce critère extrasportif est si dominant. Mais je ne pense pas que je changerai pour autant. Je pense aussi que si ça n'a pas marché, outre le chamboulement d'effectif, l'arrivée tardive de Caucaunibuca, ou encore la blessure de Barrau, c'est parce que des gens extérieurs ont savonné la planche (il ne veut pas en dire plus).
En voulez-vous aux joueurs de ne pas vous avoir fait confiance ?
Non, leur comportement est humain. De toute façon, je ne dirai jamais de mal de mes joueurs. Même si parfois, sur le banc, quand je les voyais faire comme avant plutôt que d'appliquer ce que nous répétions à l'entraînement, ce n'était pas évident.
Que faisiez-vous dans ce cas ?
Je le leur disais. Et ils me répondaient : «Ah bon ? On ne s'en rappelle pas.»
Alors, pourquoi le SUA ne gagne-t-il jamais à l'extérieur ?
Pour cela, il faut une force collective, être gonflé à bloc. Se dire qu'on va quelque part pour gagner, pas seulement pour bien jouer. Parfois, la peur de prendre une raclée peut aider à se sublimer. Comme à Gloucester, où là, je sentais dans le vestiaire qu'on allait réaliser un truc. Mais pour avoir une force collective, une âme, il faut avoir de la maturité. Et ça, ce n'est pas encore le cas.
Le SUA vous manquera-t-il ?
(Il réfléchit). Certains joueurs, oui, que je serai heureux de revoir pour boire une bière. Chose que je n'ai jamais faite cette saison. Ah si, une fois, avec Jalil.
Même après une victoire ?
Absolument. Les après-matches appartiennent aux joueurs. Et puis le copinage autour d'un verre, ce n'est pas mon truc.