Monfils, la tête haute
La joie expressive de Roger Federer se situe à la hauteur de son soulagement. Gaël Monfils peut quitter le central la tête haute, il a fait trembler (6-2, 5-7, 6-3, 7-5) pendant 3h05' le numéro un mondial qui rejoint pour la troisième année consécutive Rafael Nadal en finale. « J'ai senti que tout pouvait arriver au quatrième set. Je sauve des balles de break dans cette dernière manche et je rate des balles de match, c'est toujours dangereux contre quelqu'un qui joue à la maison, avoue le Suisse, visiblement soulagé de ne pas s'être embarqué dans une cinquième manche toujours hasardeuse. La pression était assez grande pour finir. » Pour sa première demi-finale en Grand Chelem face à une légende vivante du tennis, le Français a prouvé sa capacité à tenir le choc et à ne jamais abdiquer. « Je n'ai pas fait un faux kif où tu arrives, tu mouilles, tu prends 2, 2, 2. », résume-t-il en souriant. La force mentale, il connaît. Il y a seulement trois semaines, il jouait un tournoi challenger à Marrakech. Ce samedi, il affronte le numéro un mondial dans un central bondé pour un ticket en finale de Roland-Garros. Et il est à sa place. « Il y avait la place au moins de le pousser au cinquième set, explique le Parisien, heureux malgré tout d'avoir procuré autant d'émotions à ses proches. Après on ne sait jamais.»
Pendant toute la quinzaine, Gaël Monfils a montré un nouveau visage où le spectacle est devenu une conséquence de son jeu et non l'inverse. A chaque match, il s'adapte à son adversaire et ce samedi, la barre est haute pendant la première demi-heure. Gêné par un problème de lentille en début de rencontre, le Parisien concède d'entrée son service et ce premier jeu peut assommer plus d'un joueur. Une double faute, un passing d'extraterrestre en volée de revers lifté du Suisse et deux erreurs en coup droit peuvent présager d'un cavalier seul de la tête de série n°1 qui déroule son jeu en s'appuyant sur son arme maîtresse, le coup droit. Jusqu'à 6-2, 2-1 et service à suivre, le Suisse maîtrise les débats. La phrase de Julien Benneteau, victime de Roger Federer en huitièmes de finale, revient comme un écho : « Il étouffe un peu tout, l'adversaire, le public, l'atmosphère autour du court. » Gaël Monfils et le public sont comme anesthésiés.
Monfils tient le choc mais...
Il faut donc changer le ton de la discussion et le Français sautille, s'encourage et profite de trois fautes directes de son adversaire pour se relancer et revenir à 2-2. « J'ai un peu donné le break et Gaël est rentré de plus en plus dans le match », résume le numéro un mondial. Le match du 59e mondial vient de commencer. Il se montre plus agressif, enchaîne quelques services-volées, lâche davantage son coup droit et fait la course en tête. «Je me suis moins focalisé sur son revers. Finalement, je trouve que Roger a plus de mal plein coup droit, explique Gaël Monfils qui démontre encore toute sa lucidité tactique dans un match à enjeux. Cela ne me gênait pas tant que cela son coup droit. » La pression a changé d'épaules et Roger Federer craque sur la fin en commettant deux fautes, une volée dans le filet et un coup droit boisé, pour offrir le deuxième set à son adversaire.
La fébrilité commence à gagner, mais l'expérience n'a pas de prix. Et l'amortie revient à la mode suisse. Avec des retours slicés courts croisés, des montées au filet plus fréquentes et une bonne gestion des points importants, le numéro un mondial assure l'essentiel dans la troisième manche. Mais Gaël Monfils, toujours aussi efficace dans sa couverture de terrain, n'abdique jamais. Toujours généreux, le Français réchauffe le public, gelé par une température d'une quinzaine de degrés, et se procure six balles de break. Dont une à 2-2 qu'il va regretter : « Il y en a une, je fais le connard sur une amortie. Je dois lâcher en revers croisé direct, déplore-t-il. Même derrière, il fait une montée pourrie. J'ai le passing-shot. Celle-là m'a fait mal mentalement.». La boîte à amorties cueille l'élève de Thierry Champion qui sauve deux premières balles de match à 5-4. « Ce ne sont pas des amorties, je ne sais pas ce que c'est, mais ce ne sont pas des amorties. Ca ne rebondit pas, il met un effet rétro. Il faut qu'il m'explique, plaisante le Français. Je suis un grand coureur, mais là, bravo !» Il faut également dire juste bravo sur la fin de match. Les deux derniers points du match de Roger Federer avec deux volées très tranchantes démontrent sa capacité à se transcender dans les moments importants. Les deux joueurs peuvent se congratuler, Gaël Monfils était bien à sa place sur cette quinzaine entre les numéros 1, 2 et 3 mondiaux. Maintenant il faut garder la place au chaud.
L'Equipe