BOLT SUR UNE AUTRE PLANÈTE
Après l'or et le record du monde du 100m, Usain Bolt a récidivé sur 200m mercredi. La marque de Michael Johnson (19"32) a été effacée des tablettes : 19''30 ! Tout simplement ahurissant. Depuis 1984 et Carl Lewis, aucun sprinteur n'avait réussi le doublé. Il a même créé le vide derrière lui : le deuxième et le troisième sur la piste ont ensuite été disqualifiés !
Il y a deux univers dans le milieu du sprint : celui d'Usain Bolt et celui des autres coureurs. Mercredi soir dans le Nid d'Oiseau, le Jamaïquain a été aussi impressionnant que samedi dernier au 100m. Seule différence : il n'avait personne capable de l'inquiéter pour aller chercher l'or sur 200m. Peut-on dire qu'il avait gagné avant même que le starter ne donne le coup d'envoi ? Déjà, dans les starts, il avait eu les mêmes gestes décontractés qui s'ajoutent maintenant naturellement à son talent. Dès les premiers mètres de la finale, Bolt a été dans le ton. Au milieu du virage, il avait avalé son voisin de couloir, le Zimbabwéen Brian Dzingai. Au sortir, le Jamaïquain était devant les autres concurrents. Rien de surprenant. Et là, l'extra-terrestre n'a pas eu à s'arracher. L'écart était déjà trop conséquent pour que l'impensable se produise. Usain Bolt a glissé sur cette dernière ligne, la foulée claire et gracieuse, mis en orbite vers un deuxième triomphe.
Autre différence avec sa fantastique finale du 100m : Bolt n'a pas cherché à couper son élan à quelques mètres de l'arrivée. Pas de pas de danse cette fois-ci. Car, en se rapprochant d'une nouvelle consécration, le Jamaïquain a jeté un coup d'oeil au chronomètre et il a vu qu'il était dans les temps pour effacer Michael Johnson des tablettes du demi-tour de piste. En 1996, aux Jeux d'Atlanta, l'Américain avait réalisé 19''32. On pensait que cette marque allait durer une éternité, comme le bond prodigieux de Bob Beamon à Mexico en 1968. Finalement, le record de Johnson n'aura tenu « que » douze ans. Quand Bolt a passé la ligne d'arrivée, il a été crédité de 19''31, record ramené à 19''30 quelques secondes plus tard. Plus fort surtout : le Roi Usain a écrasé ce 200m avec un vent défavorable de 0,9m et... une demi-seconde d'avance sur le deuxième, le représentant des Antilles Néerlandaises, Churandy Martina (19"82), et le troisième, l'Américain Wallace Spearmon. Et même plus au final puisque ces deux là ont ensuite été disqualifiés, Spearmon peu après la course, Martina plus de deux heures après. Les deux médailles ont été redistribuées à deux Américains, Shawn Crawford, tenant du titre, qui a déclaré «ne pas mériter sa médaille», et Walter Dix.
«Je me disais que c'était impossible»
«C'est énorme, c'est un rêve qui est devenu réalité, a-t-il confié. Je ne m'attendais pas à battre le record du monde. Je savais que la piste était rapide mais je me disais que c'était impossible à réaliser. Je suis toujours sous le coup de l'émotion au moment où je vous parle. Cela faisait tellement longtemps que j'espérais battre ce record. Après les demi-finales, j'étais un peu inquiet. Mais je me suis dit que je devais tout oublier sur la piste. Je suis bien sorti des starts, j'ai couru dans le virage aussi vite que possible et, quand je suis entré dans la ligne droite, je me suis dit : "Résiste, ne flanche pas maintenant".»
Le Jamaïquain, qui n'avait qu'une médaille d'argent acquise l'an dernier à Osaka sur le demi-tour pour tout palmarès, est la figure emblématique des Jeux de Pékin, en compagnie du nageur américain Michael Phelps et ses huit titres olympiques. Il est déjà devenu le neuvième athlète de l'histoire olympique à établir un tel doublé, le dernier avant lui étant Carl Lewis en 1984 (*). Il est aussi le premier à avoir amélioré le record du monde lors de ses deux exploits. Si le show Bolt n'a pas eu lieu avant l'arrivée, il s'est tout de même déroulé après. Un nouveau long tour d'honneur en a fait le héros du Nid d'Oiseau. Chacune de ses apparitions, depuis son premier succès, était guettée dans l'enceinte chinoise, même lors des séries le matin sous un soleil de plomb. Le public, comme le champion, n'est sans doute pas rassasié. Il reste encore le relais 4x100m vendredi.
(*) Outre Bolt et Lewis, Valery Borzov (1972), Bobby Morrow (1956), Jesse Owens (1936), Eddie Tolan (1932), Percy Williams (1928), Ralph Craig (1912) et Archie Hahn (1904) avaient fait aussi bien.
L'Equipe