Dan Carter, ça fait cher la passe
L’arrivée du Néo-Zélandais à Perpignan relance le débat sur les pigistes de luxe dans le rugby.
Combien pèse Dan Carter ? Environ 90 kilos. Et plusieurs centaines de milliers d’euros, pour les six mois qui viennent. Arrivé il y a quelques jours à Perpignan, pour une échéance d’ores et déjà fixée à la fin du printemps, le demi d’ouverture star des All Blacks constitue en effet à ce jour le CDD le plus cher de l’histoire du rugby international. Mais pas un pari déraisonnable, si l’on en juge déjà par l’impact économique sur l’Usap (Union sportive des Arlequins de Perpignan), depuis l’annonce de sa venue. Et la morale sportive dans tout ça ?
Reprenons : en juin dernier, alors que la saison s’achève, l’Europe du rugby a des palpitations. Dan Carter (lire page suivante), considéré comme un des meilleurs (le meilleur, pour certains) et des plus médiatiques joueurs de la planète, est prêt à s’exporter ponctuellement. Il a obtenu une dérogation de la fédération néo-zélandaise - avec qui il est sous contrat - pour aller cachetonner à l’étranger, sans hypothéquer sa place chez les All Blacks, notamment dans la perspective de la prochaine Coupe du monde, à domicile qui plus est, en 2011.
Pépettes. Alors, la frénésie monte. Les Saracens de Londres, les Gallois des Ospreys ou de Cardiff lorgnent la star. La France possède toutefois les meilleurs atouts, avec Toulouse et Toulon. Selon le Daily Mail, les champions de France, pourtant réputés pour leur sang-froid, font même une offre à 950 000 euros ; mais c’est le RCT avec son très offensif et bling bling président, Mourad Boudjellal, qui tient la corde, la presse spécialisée allant jusqu’à titrer «Dan Carter à Toulon, c’est fait !».
Le club varois, au demeurant, a déjà fait jurisprudence, depuis que Tana Umaga, autre icône Black (vieillissante), est venu sur la rade en 2006 pour une histoire claire et nette de pépettes : huit matchs facturés 500 000 euros. Bilan : sept victoires (une défaite, blessé, il ne jouait pas) et le club qui se relance en Pro D2. Avant de remonter cette saison dans le Top 14, sous la direction d’Umaga, de retour en France. Ambigu sur le plan de l’équité, le profil du mercenaire réapparaît ici avec Dan Carter, qui a finalement choisi Perpignan.
Ancien entraîneur des Bleus et de l’équipe d’Italie, désormais à la tête du Racing Métro, leader de la Pro D2, Pierre Berbizier a une analyse pragmatique du contexte : «Nous sommes dans un système professionnel régi par la loi de l’offre et de la demande, et les mentalités doivent s’adapter. Une belle hypocrisie a longtemps régné dans le rugby où, au nom de la défense de certaines valeurs, l’argent circulait, plutôt mal, sous la table, maintenant, il est juste posé dessus. La venue de Dan Carter est une incontestable plus-value au niveau du spectacle et des retombées médiatiques. Sportivement, on verra.»
N’empêche, bien calé à la troisième place du Top 14 après 12 journées, l’Usap s’offre en cours de saison un renfort qui, à son niveau (élevé), peut modifier la physionomie de bien des rencontres. «Mais, complète Pierre Berbizier, les clubs ont déjà droit à des jokers médicaux quand il y a des blessés ; et nous sommes habitués à gérer des objectifs qui évoluent en cours de saison. De plus, aucun joueur ne peut tout régler seul, et Carter devra respecter le fonctionnement et les règles du groupe pour bien s’y intégrer.» A titre indicatif, on se souviendra au passage que la saison 2007-2008 de Percy Montgomery, champion du monde sud-africain et autre pied gauche prestigieux, n’avait pas vraiment répondu à l’attente du côté de… Perpignan.
Persuasif. Officiellement, un argument décisif dans le choix catalan du prodige Carter a été la perspective de participer à la Coupe d’Europe. Or, l’ironie du sport veut que son nouveau futur-ex-club soit en ballottage défavorable dans une compétition qu’il pourrait quitter plus vite que prévu. Mais bon… Le président, Paul Goze, a été persuasif. Les modalités exactes du contrat n’ont pas été précisées, mais, de source concordante, on sait que Dan Carter touchera au moins 700 000 euros, somme mirobolante dans une discipline sportive pas encore habituée à tant de zéros. Perpignan n’a pas pour autant perdu les pédales, loin de là.
Cette saison, avec plus de 10 000 supporteurs, le nombre d’abonnés à Aimé-Giral a augmenté de 15 %. Le club fédère maintenant 450 partenaires et le merchandising bat son plein dans les trois boutiques et sur Internet : montres, mugs, stylos, écharpes, casquettes, tee-shirts, tout part, à commencer par les maillots floqués au nom de la star (plus de 5 000 unités à 77 euros écoulées) auraient boosté de plus de 20 % le chiffre d’affaires.
A l’US Dax, deuxième plus petit budget du Top 14, on suit l’actualité des clubs «huppés» avec flegme. «Plus admiratif qu’envieux», le président, Gilbert Ponteins, note «le beau cadeau que font une poignée de partenaires à leur ville et à leur club, qui n’a de toute façon pas attendu Carter pour avoir une solide ossature». Quant à la question morale, «c’est effectivement un problème qui mérite d’être débattu par les instances. A titre personnel, je suis contre ce type de pige qui risque de donner une image néfaste et de fausser un peu le championnat».
En attendant, Dax recevra Perpignan le 28 mars. Et si les 16 000 sièges du stade Maurice Boyau seront tous occupés, Dan Carter n’y sera certainement pas pour rien.
Libération - 12/12/08