Sud Ouest :
Caucau est un drôle de coco ! Et s'il est un homme qui connaît sur le bout des doigts, l'aventure agenaise de Rupeni Caucaunibuca, c'est bien Laurent Lubrano (1). Même si aujourd'hui il n'a plus de nouvelles de Caucau - a priori pas plus que le XV de Carcassonne où il a signé après son départ de Toulouse - Laurent Lubrano sait que ses pas croiseront un jour ceux du joueur le plus extraordinaire que le Sporting Union Agenais ait connu.
Rupeni Caucaunibuca est né le 5 juin 1980 à Nabouwalu. C'est justement à Lambasa, autre île de l'archipel des Fidji, que Laurent Lubrano s'est un jour rendu pour récupérer Caucau qui avait, une fois encore, oublié de rentrer à Agen.
« Je savais que tant que Sokoveti, sa femme, n'aurait pas accouché, le terme arrivant dans le courant de l'été, il ne fallait pas compter sur Rupeni. J'ai décidé de partir à Lambasa les chercher. En fait, j'étais inquiet car pour la naissance de son premier enfant, une fille, Sokoveti avait du accoucher par césarienne et je savais donc qu'à Agen de conditions sanitaires seraient idéales en cas de problèmes. »
Le cousin : Evander Holyfield
Laurent Lubrano ne sait pas qu'il va vivre un véritable périple à la Indiana Jones. « Depuis Agen, rejoindre la Nouvelle-Zélande puis Nandi puis Suva aux Fidji, ça va à peu près. Mais après, tout se complique pour arriver à Lambasa. Il n'y a pas d'aérodrome, juste un bout de piste d'atterrissage avec tout au bout une cabane en bois. Quand l'avion s'est posé, la garniture de la porte du vieux coucou est tombée dans l'appareil. »
Laurent Lubrano doit ensuite attendre trois heures avant de voir âme qui vive. « J'avais rendez-vous avec un cousin de Rupeni, un banquier. Je m'attendais donc à rencontrer un homme habillé comme un banquier. En fait, dans sa voiture tout terrain, j'ai vu descendre un homme qui ressemblait plus au boxeur Evander Holyfield qu'à un banquier. Mais c'était bien le cousin. « Avant de rejoindre Lambasa, nous avons été au marché afin d'acheter des cadeaux et des provisions. Quand j'ai demandé au banquier combien de temps il fallait pour rejoindre Lambasa, la réponse m'a un peu étonné : ''Entre 2 et 8 heures. Ça dépend !'' On a mis près de 6 heures. »
« Puis, quand j'ai demandé au chauffeur asiatique pourquoi il roulait comme un fou sur cette sorte de piste, il a regardé vers le ciel et m'a fait comprendre que s'il pleuvait, la route risquait d'être coupée, et qu'il fallait donc foncer. Déjà que je n'aime pas la voiture… Là, dans ce pick-up, c'était l'enfer ! » Laurent Lubrano n'était pas au bout de ses surprises.
Une étrange décoction
« Lambasa, c'est quoi ? Un village de huttes. Un terrain de rugby. Une église. La réalité ? Une autre civilisation. L'espérance de vie, c'est moins de 40 ans. Ça m'a fait penser au film ''Les dieux sont tombés sur la tête.'' Tout expliquait alors le comportement, les réactions, la manière de vivre de Rupeni. Son mal-être. La tribu, comment l'appeler autrement, de la famille de Rupeni vit dans une autre époque. Un autre monde. Pour nous, cela ressemble à la préhistoire. Comment peut-il s'adapter à la culture européenne ? Rupeni est un homme pur. Son rapport avec le temps, avec la nature, avec les hommes est à des années lumière de ce qui lui est imposé chez nous. »
« On a parlé de caprices, de fainéantise, de manque d'envie, de gourmandise… soit autant de bêtises, poursuit Laurent Lubrano. Un seul exemple : l'alimentation. Il faut prendre le problème à l'envers. Quand un européen mange comme un fidjien, c'est drôle et exotique pendant quelques jours. Mais de là en faire son régime quotidien. »
Quand Laurent Lubrano est descendu du pick-up à Lambasa, il a été accueilli par les parents de Rupeni. « Il était parti à la pêche. Il est arrivé trois heures plus tard avec sur l'épaule un énorme harpon et un poisson tout aussi gros, une sorte de bonite. Il pêche dans un lagon à une demi-heure à pied du village. Le soir, rassemblé dans la hutte avec la famille de Rupeni, nous avons mangé le poisson préparé par Sokoveti prête à accoucher, et bu une décoction, un truc horrible. » Le visage de Laurent Lubrano se tord.
Sept saisons au SUA
« Rupeni est adoré dans son village. L'argent qu'il a gagné - il n'existe pas de système monétaire sur l'île - lui a permis de faire construire une maison en brique. Il n'y vit pas, il préfère sa hutte. Il a amené un groupe électrogène. Lequel sert un peu, mais comme ça fait du bruit… »
« Je ne sais pas si je revivrais de tels moments. Mais au-delà d'avoir ramené Rupeni à Agen, la plus belle chose est peut-être d'avoir permis à Sokoveti d'accoucher dans un hôpital. Sinon, elle comme son enfant, Rupeni Junior, n'auraient pas survécu. Ce que m'on confirmé les médecins sur place. »
L'aventure de Rupeni avec le SUA aura duré 7 saisons avec des hauts. Comme avoir été le meilleur marqueur d'essais du Top 14 avec 16 réalisations en 2005 et 17 en 2006. Avec des bas. Pouvait-il en être autrement ?