Michalak s'exile en Afrique du Sud à la recherche d'un "nouveau Fred"
LE MONDE | 06.11.07 | 14h20 • Mis à jour le 06.11.07 | 14h22
Frédéric Michalak, 25 ans, est attendu à Durban, en Afrique du Sud, dans quelques jours. A partir de février 2008, le demi d'ouverture du XV de France (50 sélections) doit disputer avec les Natal Sharks le Super 14, la compétition qui réunit des équipes des provinces sud-africaines, néo-zélandaises et australiennes. Avant de s'envoler pour "une ou deux saisons", il évoque les raisons de son départ et revient sur le parcours du XV de France dans la Coupe du monde et sur ses sévères critiques à propos du caractère "stéréotypé" et "prévisible" du jeu mis en place par Bernard Laporte.
L'Afrique du Sud. "On avait fait une tournée là-bas, en 2005. On avait joué à Durban, on avait fait un beau match, le stade m'avait plu, la ville aussi. Surtout, je voulais jouer le Super 14, c'était mon rêve. Les Australiens ne voulaient pas d'étrangers (dans leurs clubs), les Néo-Zélandais non plus. Seuls les Sud-Africains ont accepté. Là-bas (dans l'hémisphère sud), ils ne prennent pas beaucoup de joueurs étrangers, ils préfèrent investir dans un jeune pour servir l'équipe nationale. Il faut que ça évolue : je pense qu'ils ont besoin de joueurs européens pour relancer leur championnat."
Un nouveau club. "Les Sharks sont les premiers qui sont venus me voir. D'autres sont venus après, mais je n'ai pas donné suite. Je vais essayer de m'intégrer dans un groupe. Je vais écouter, pas trop parler parce que je ne parle pas beaucoup. Je ne pense pas être trop difficile à intégrer. C'est la première fois pour moi : j'étais au Stade toulousain depuis mes 7 ans, j'étais peut-être arrivé au bout de quelque chose. Si je reste quatre ans de plus, je vais les subir ces quatre ans. Si je pars un an ou deux, quitte à revenir après au Stade toulousain, je serai un nouveau Fred. Je cherche à progresser, aller plus loin, au-delà de ce que j'ai pu apprendre. J'ai besoin de voir ce qui se fait ailleurs. Ça fait quelques mois que je me suis préparé dans ma tête. Je suis prêt. Je suis arrivé à un moment de ma vie, à 25 ans, où je peux tenter une telle expérience."
L'exil. "Oui, cette démarche traduit un besoin d'ailleurs, d'exil. Là-bas, ce sera plus facile, je n'aurai pas cette mauvaise pensée que beaucoup de gens s'intéressent à moi parce que je suis un rugbyman, quelqu'un de connu. Ici, je me protégeais, je n'avais pas le choix. C'est surtout l'expérience de 2003 qui m'a fait vouloir partir. Après la Coupe du monde (en Australie), je me souviens que ça avait été dur de reprendre la semaine d'après en France. En France, je savais qu'après la Coupe du monde 2007, ce serait difficile d'évoluer. Qu'on gagne ou qu'on perde, je m'étais dit qu'il fallait que je me remette au travail. Je voulais me remettre en question, me lancer un nouveau défi. J'y vais pour travailler plus dur, pour que ce soit bénéfique aussi pour l'équipe de France. Voilà mes objectifs."
La Coupe du monde. "Il faut dire les vérités : quand je dis que stratégiquement c'était pauvre, c'est que c'était vrai. On est arrivé à certains matches avec des stratégies très faibles. Sur le terrain, on n'avait pas de solution. Par rapport au potentiel de l'équipe, je pense qu'on aurait pu faire mieux. Je ne pense pas que notre place c'était quatrièmes comme j'entends certains le dire. Notre place, c'était premiers.
Il faut dire les choses aussi quand elles ne te plaisent pas. Nous, quand on doit nous dire les choses, on nous les dit sans problème. Je pense que j'avais besoin de dire quelques trucs, et ça m'a fait du bien. Ce n'est pas parce que je n'avais pas joué ou que j'en voulais à qui que ce soit, non, c'était pour faire évoluer les choses. C'est vrai que ce sont les joueurs qui sont sur le terrain, et c'est pour ça que j'en veux plus à nous-mêmes qu'aux entraîneurs. C'est à nous de dire les choses, mais c'est très difficile quand tu ne joues pas.
Après l'euphorie de la victoire sur les All Blacks, on ne s'est pas vraiment rendu compte du danger. On s'est contentés de préparer le match (la demi-finale contre l'Angleterre) un peu trop facilement. Quand je dis que certains discours ne passaient plus, c'est aussi par rapport à ça : tu ne peux pas dire que les équipes ne font rien en face."
Bernard Laporte. "Son discours, ça faisait un petit moment qu'il ne passait plus. Il y a eu des matches amicaux (en août) où c'était très bien, on avait adopté un style de jeu qui était très bon. Le discours était très bon. On était sur une certaine dynamique. Mais à partir du moment où la Coupe du monde a démarré, il y a eu des différences. Ça a dû être difficile pour le coach aussi. Parce que ce n'est pas facile d'être ministre en même temps. Ça n'a pas dû être très cool pour lui. Je ne pense pas qu'il a pu évoluer dans des conditions où il pouvait vraiment se lâcher, avec une caméra qui nous suivait tout le temps... Tu ne peux pas faire deux choses en même temps. Des fois, sur certains trucs, on avait l'impression qu'on nous disait qu'il fallait jouer pour le président de la République !
Moi je joue pour les gens, pour des choses qui sont vraies, je joue pour la France d'en bas, qui galère, parce que je viens de là... Je ne vais pas jouer parce que le président a réussi à être président de la République. Lui, il a réussi, alors, nous, il faut qu'on y arrive... A un moment donné, c'est ce discours-là que je ne comprenais plus trop. Nous, les joueurs, on connaît nos motivations, on est capables de dissocier les choses, mais à un moment donné, tu n'écoutes plus. Faut pas tout mélanger."
Propos recueillis par Eric Collier
Article paru dans l'édition du 07.11.07.
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