Pierre Villepreux a fait les comptes et ressort des données surprenantes au sujet de la mêlée, secteur clé du rugby...
La mêlée est un des facteurs du jeu qui donne au rugby sa spécificité. Les lettres de noblesse dans ce secteur ont été acquises au fil du temps. La forme de l'affrontement corporel qui y préside au moment de l'engagement et l"intensité de la lutte collective qui s'en suit pour gagner et maîtriser le ballon a beaucoup contribué à donner à la mêlée une visibilité distincte des autres phases et à en faire un système à part entière, et donc est perçu comme un indicateur de la performance de l'ensemble du jeu produit.
En mêlée, "on fait dans le rude", comme dirait Daniel Herrero. Sont concernés dans cet affrontement sans concession des joueurs solides physiquement et forcement mentalement. D'ailleurs, certains postes ne sont pas accessibles à tous. La confrérie de la première ligne, revendique à ce titre d'être considérés comme atypiques. Pendant longtemps, le reste du jeu n'était pas leur problème. Seule la performance en mêlée comptait. De ce fait ils se sentaient seuls détenteurs de valeurs particulières, celles qui font appel entre autres au courage, à l'abnégation indispensables pour jouer et performer à ce poste.
Engager et regrouper dans une phase de jeu, la moitié d'une équipe dans un duel collectif 8 contre 8 n'est pas commun et n'a pas cours dans les autres sports collectifs. Personne ne saurait en effet rester insensible à la violence de l'impact qui préside à l'engagement même si celui est de plus en plus médié par des règles précises et sécuritaire.
L'objectif reste bien sur le gain du ballon mais curieusement je ne suis pas loin de penser que psychologiquement il est parfois préférable de perdre un ballon (car il y a toujours une explication technique à donner) plutôt que de se faire humilier en subissant la pression adverse que ce soit individuellement et collectivement.
Quand une équipe subit en mêlée, curieusement une certaine fragilité mentale s'installe dans le collectif. Les entraîneurs s'interrogent, en font immédiatement une priorité pour l'entraînement successif. Les médias se polarisent sur cette carence. La performance même quand elle est positive n'apparaît pas comme accompli.
Peut-on dire que l'importance qui globalement est accordée à la mêlée, relativement à tous les autres secteurs du jeu est disproportionnée ? Ne convient-il pas d'accepter clairement aujourd'hui de lui donner en terme d'influence sur la performance dans un match, la place qu'elle mérite, mais pas davantage ?
Les statistiques prises à la fois dans l'histoire du jeu et lors de la dernière Coupe du monde tendraient à démontrer que le rôle et l'impact de la mêlée dans le jeu moderne ne sont pas aussi grands que l'on a tendance à le croire. Sans revenir très loin en arrière, en 1980 la moyenne toutes compétitions internationales confondues étaient de 31 mêlées, en 1973 pour le match références de Barbarians-New Zealand, on en note 38.
Le RWC 2008 donne d'autres exemples plutôt significatifs : 899 mêlées ont été sifflées durant les 48 matchs de la RWC 2007 soit une moyenne de 19 par matchs ;
Le plus grand nombre lors d'un match : 35
Le plus petit : 12
66% des matchs se sont joués avec moins de 20 mêlées.
Un cas surprenant, lors du quart de finale Angleterre-Australie, en première mi-temps, on comptabilise trois mêlées qui ont entraîné autant de pénalités et la balle, durant cette mi-temps, n'a jamais été introduite. On peut dans le même ordre d'idée noter que dans 6 matchs la première mêlée a eu lieu après plus de 20 minutes de jeu.
Dans la même période pendant que le nombre de mêlées déclinait régulièrement, le nombre de touches diminuait tout autant :
1980 : moyenne 52
RWC 2007 moyenne 31
En revanche on note et personne ne sera surpris que le nombre de rucks/maul (surtout dans les 10 dernières années) a fortement augmenté
1980 : moyenne :46
RWC 2007 : 144
En 1980 sur 129 balles disponibles à partir de "mêlées-touches-Rucks/mauls" 31 proviennent des mêlées, soit une proportion de 25%.
Pour la RWC 2007 sur 194 balles provenant de ces mêmes phases 19 proviennent des mêlées soit une proportion de 10%.
En regard du moindre nombre de possibilités de jeu à partir de cette phase, ce sont bien les autres secteurs du jeu qui sont utilisés de manière prépondérante.
Dans le même ordre d'idée on observe que :
- le temps de combat pour le gain du ballon avant utilisation à beaucoup diminué
9 mêlées sur les 899 de la RWC 2007 ont duré plus de 10 secondes
- le temps de lutte entre les 2 premières lignes (moment du contact- séparation) est dans un match et en moyenne de 154 secondes.(101 secondes pour le match d'ouverture France-Argentine) pour 6minutes 32 dans la seule première mi-temps pour le match Barbarians Nouvelle-Zélande.
Il serait bien sûr intéressant d'aller plus loin dans l'analyse et il n'est pas question de vouloir démontrer que la mêlée ne sert plus à rien et que le jeu actuel tend à dénaturer cette phase. En revanche, il s'agit bien de sensibiliser sur la place qu'elle tient dans le contexte général du jeu au regard des autres secteurs et que la domination ou la faiblesse constatée pour une équipe dans un match ne peut être significative pour expliquer le résultat. Même si certaines mêlées dans un match peuvent être déterminante (entre autre prés de la ligna de but), on se doit de penser cette phase de jeu différemment en ne lui donnant pas un poids particulier mais en l'incluant dans le jeu global. Ce qui veut dire qu'il s'agit de raisonner en terme de nombre de balles disponibles quel que soit leur provenance acceptant que la part laissée à la mêlee donc son influence sur l'ensemble du jeu est aujourd'hui forcement moindre, ce qui veut dire aussi que l'effet psychologique qu'elle génère encore sur les joueurs, les entraîneurs et l'environnement doit être repensé.
Rugbyrama