Rugby - FRA - Laporte veut «protéger l'esprit»
Après une riche carrière de joueur et d'entraîneur, puis de sélectionneur national, Bernard Laporte est devenu Secrétaire d'Etat aux sports il y a un an. Mais il conserve évidement un regard avisé et passionné sur le rugby. Invité du Mardi Rugby Club sur L'Equipe TV, il est revenu sur la première partie de la saison et sur la domination des grosses écuries. Mais il souligne surtout les sujets qui le tracassent en tant que membre du gouvernement avec, par exemple, le nombre de joueurs étrangers dans le championnat.
«Bernard Laporte, vous êtes entré au gouvernement il y a un peu plus d'un an. Le rugby vous manque-t-il ?
Oui ça me manque. Le rugby, c'est 35 ans de ma vie, donc on ne peut pas faire le vide du jour au lendemain, ce n'est pas possible. De temps en temps ça me manque, mais je vais voir des matches, je participe plus ou moins, je vais dans les vestiaires.
Quel est votre regard sur le Top 14 ? Comme souvent, les grosses écuries sont déjà devant.
Ils ont les effectifs les plus conséquents. Si on prend les demi-finalistes depuis dix ans, ce sont toujours les mêmes : Toulouse, le Stade Français, Perpignan, Clermont et Biarritz. Cette année à part le BO c'est encore la même chose. Cette année Bayonne est surprenant, Montauban aussi, mais ce sont des effectifs moindres, et dès qu'on enlève deux-trois joueurs, ces équipes s'exposent à perdre des rencontres, or les saisons sont longues. Ce sont les écuries les plus conséquentes qui sont en haut, et c'est logique.
Le Stade Français est aussi dans la course. Vous continuez à suivre ce club ?
Je l'ai peu vu mais à chaque fois que Paris gagne, cela me fait plaisir. C'est mon club de coeur et je le n'ai jamais caché. Je suis arrivé en 1995, et je ne peux pas nier que c'est mon club.
Un autre fait marquant : les difficultés rencontrées par Toulon, relégable malgré de gros moyens. Qu'en pensez-vous ?
Toulon est dans une situation délicate, c'est dommage. C'est difficile de les voir peiner comme ça alors qu'ils viennent de remonter. Ils ne sont pas dans une dynamique très intéressante et je crois qu'ils auront du mal à éviter la descente. Quand on entend parler Aubin Hueber, on sent qu'il n'y a pas d'état d'esprit, pas d'âme alors que c'était quand même la base de l'équipe toulonnaise. Quand on parle d'état d'esprit, on parle d'hommes. Et quand je regarde cette équipe de Toulon, il y a trois joueurs français. C'est difficile de dire que 12 joueurs étrangers représentent une identité, une culture, des supporters qui ont l'amour du maillot. Avant en allant jouer à Mayol on avait peur, parce qu'il y avait une osmose entre l'équipe et son public. Aujourd'hui cela n'existe plus. Je crois que Toulon est dans l'excès entre le rapport de joueurs français et étrangers. Cela arrive au RCT mais ça peut arriver à d'autres.
Le sujet du nombre d'étrangers est un point qui vous touche en tant que secrétaire d'Etat aux Sports. Que pouvez-vous faire ?
Ce n'est pas nouveau. Sur la dernière journée du Top 14, on a fait un bilan, et il y avait 55% de joueurs français alignés dès le départ. En 2006, c'était 75%, et donc on peut s'inquiéter et il faut faire attention. Ça va aller très vite et il ne faut plus plaisanter avec ça. Ça me fait mal mais le rugby à XIII en est mort, en tout cas il n'est plus ce qu'il était il y a 50 ans. Ils ont pris beaucoup d'Australiens, les joueurs français ne jouaient plus et le sport a disparu. Je vais tout faire pour aider ce sport à sortir la tête de l'eau et à exister. C'est un sujet très important, et on doit s'engager pour qu'il y ait un nombre de joueurs sélectionnables pour l'équipe nationale dans chaque club. Sinon à quoi cela sert de dire qu'il y a une identité française, italienne, anglaise si demain il y a quinze joueurs étrangers dans chaque équipe. Dans certains clubs, le nombre est trop élevé. Je ne suis pas contre le principe bien sûr, mais il faut le réguler. L'Europe parle de libre circulation, mais nous demandons une exception sportive, une spécificité pour privilégier la culture, l'esprit. Le sport ne peut pas être soumis au droit commun comme une entreprise. Je me mets à la place des supporters de Toulon par exemple. Comment s'identifier à des joueurs qui arrivent, qui repartent. Il faut protéger tout le monde : l'équipe nationale, la formation, les jeunes joueurs, l'esprit.
Un autre conflit récurrent pollue le rugby tricolore, c'est la relation entre les clubs et l'équipe de France, avec en ce moment la question du stage des Bleus fin janvier. Quel regard portez-vous sur ce problème que vous avez bien connu ?
C'est toujours la même problématique entre les club et l'équipe de France. Mais je crois que le XV de France est toujours la vitrine du rugby français, et il faut la protéger. Un stage de trois jours, ce n'est pas énorme, même si je comprends que les clubs ne soient pas contents. D'un autre côté, il y a des Néo-zélandais, des Australiens qui sont six mois ensemble. Il faut savoir donner un peu aussi. Le XV de France ne prend pas beaucoup de temps, et je comprends Marc Lièvremont qui a envie de réunir ses joueurs trois jours. Attendez, excusez-moi trois jours».