Le club suisse du Servette, parti du bas de l'échelle, dispute désormais le championnat de France
GENEVE, stade de la Praille, écrin de 30 000 places qui a accueilli l'EURO 2008 de football.
Un Saint-Bernard, mascotte du club, s'agite sur la pelouse, son tonneau réglementaire autour du cou.
Le Servette Rugby Club de Genève dispose d'installations dignes du Top 14, qu'il ambitionne de rejoindre un jour. Les Suisses se sont lancé le pari de traverser la frontière et de rivaliser avec les Français, alors qu'au pays des montres "les meilleures équipes ont plutôt un niveau de fédérale 3 (équivalent de la 5ème division), explique Marc Bouchet, le directeur général.
Pour l'instant, les Grenats évoluent en 3ème série, le dixième niveau Français. Ils jouent le rugby du dimanche après midi. Celui où les joueurs se relaient pour faire office de juge de touche, où certains avants sont aussi hauts que larges et où l'on peut s'échanger quelques marrons sans passer devant la commission de discipline.
Le club a connu sa seconde naissance l'an dernier. "Le Servette est un club de rugby avant tout, rappelle Alain Studer, ancien rugbyman pro et directeur sportif, en faisant allusion à la première section historique de l'Institution en 1890. On a surfé là-dessus pour convaincre Hugues Quennec propriétaire et président du club, né au Québec, d'un père Français et d'une mère Suisse.
Le président, dingue de sport et déjà patron de la branche hockey et de la version foot du Servette, s'est pris au jeu: il fallait créer un grand club, promouvoir l'ovalie dans un pays féru de ski où un vide restait à combler entre les écoles de rugby (jusqu'à 12 ans) et les séniors.
Pour s'assurer une croissance rapide, le Servette s'est solidement armé, en recrutant uniquement des joueurs ayant évolué à un niveau nettement supérieur, en première division suisse ou dans les clubs Français voisins.
Les Suisses ont dû faire face à des soupçons au début. "On ne paye pas les joueurs, assure pourtant le directeur général. On rembourse seulement les frais kilométriques de ceux qui habitent à plus de 30 km". Le Servette a néanmoins fait jouer son réseau pour trouver un emploi à certains éléments. Une pratique plus courante au niveau national qu'en 4ème série.
Les clubs du comité de rugby du Lyonnais apprennent à composer avec cet imposant voisin qui soigne l'accueil pour arrondir les angles. "Ce n'est pas le même rapport de force, on savait qu'on n'allait pas gagner, souffle Frédéric Marza. On a quand même passé un bel après-midi, c'est rare de jouer dans un tel stade".
Si le Servette monte chaque année, il peut espérer découvrir le Top 14 en 2023. Mais comme on dit sur les bords du Léman: "Y a pas le feu au lac."
La FFR ouvre grand ses portes
La participation d'un club étranger au championnat de France n'est pas une première.
Une équipe Luxembourgeoise évolue notamment dans le comité de Lorraine.
Des clubs des principautés d'Andorre et de Monaco jouent également sur le territoire.
"La France est une terre d'accueil et a une mission de développement du rugby européen, estime Alain Doucet, le secrétaire général de la Fédération Française de Rugby. Le Servette propose un projet structuré. Ces gens-là sont courageux. C'est un pari sur l'avenir."
Le dirigeant de la FFR pointe aussi les possibilités de croissance offerte par le fortuné pays voisin: "S'implanter durablement en Suisse peut être intéressant pour le rugby Français et favoriser de nouveaux partenariats."
Pour autant, le comité de rugby du Lyonnais, qui aurait le pouvoir de placer le club jusqu'au plus haut niveau régional, n'envisage pas de surclassement. "On respecte la règle, précise René Vaudant, le secrétaire général. Vis à vis des autres, on ne veut pas faire de différence".
Yves Leroy, Le Parisien du 12 janvier 2015