Tournoi - L'oeil de Laurent Bénézech

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Laurent Bénézech appelle le XV de France à «ne pas se griser» après sa deuxième victoire dans le Tournoi contre l'Irlande (26-21) : «Le triangle arrière de l'équipe de France est son point fort (...) Le rendement du cinq de devant n'est pas suffisant.» Notre consultant regrette la rigidité du coaching des Bleus : «Il n'est pas possible que les entraîneurs continuent à pratiquer des remplacements décidés avant le match sans tenir compte du déroulé de la partie et des forces en présence.»

Le XV de France a gagné contre l'Irlande (26-21), mais paradoxalement il inquiète. Quel bilan tirez-vous de cette rencontre?
L'important est toujours de gagner et ce, encore plus à l'attaque d'un nouveau cycle. Le fait que les entraîneurs français ne fassent aucune compromission à la fois dans le choix des joueurs et le style de jeu et qu'en plus ils gagnent est bien sûr un plus pour la suite. Maintenant, il ne faut pas se griser avec cette victoire, ces victoires, et plutôt faire un état des lieux objectifs : côté positif, on a la confirmation que le triangle arrière de l'équipe de France est son point fort. La charnière française avec Elissalde en patron et Skrela ou Trinh Duc a su alterner le jeu et donner les bons ballons à jouer au large. La troisième ligne a été un poison pour l'adversaire, le choix de Bonnaire ajoutant une dimension aérienne qui me semble indispensable à ce niveau. La complémentarité entre Dusautoir et Ouedraogo n'est pas complètement idéale mais comme les deux sont performants, ça fonctionne. Lionel Nallet est incontournable en deuxième ligne, il a sûrement sauvé la victoire samedi lors de ces deux ou trois traversées des regroupements irlandais. Swarsweski, Servat au talonnage, c'est du haut niveau même si certains lancers ne sont pas exempts de tout reproche.

Quels sont les points négatifs selon vous ?
Il est évident que le rendement du cinq de devant n'est pas suffisant. Des nouveaux, la seule satisfaction dans ce secteur est Lionel Faure. La touche, la mêlée et la défense sur ballon porté ont montré d'inquiétants signes de faiblesse et même si on peut mettre la dernière demi-heure de l'Irlande sur le coup de la fatigue, il faut corriger le tir contre une équipe d'Angleterre qui va essayer de nous faire craquer à ce niveau. La paire de centre Traille-Marty n'est peut-être pas la paire idéale pour pratiquer le jeu préconisé mais dans le contexte actuel et vu le match de Damien Traille qui semble prendre du plaisir à jouer ce rugby, on ne peut pas lui reprocher grand chose. Il n'est pas possible que les entraîneurs continuent à pratiquer des remplacements décidés avant le match sans tenir compte du déroulé de la partie et des forces en présence. Ils doivent respecter le jeu et même leurs joueurs en s'adaptant aux circonstances. En conclusion, il y a beaucoup de positif dans tout ça, il faut juste monter d'un niveau pour jouer l'Angleterre en renforçant le cinq de devant et en ayant pour finalité de gagner le match sans renier, bien sûr, le discours sur le jeu.

La mêlée tricolore a montré des lacunes étonnantes. Comment et avec qui reconstruire une bonne mêlée pour la suite du Tournoi ?
Il faut à tout prix se donner une bonne base de lancement de jeu à ce niveau d'autant plus que les Anglais vont chercher à nous y tester. Au niveau des hommes, j'ai bien aimé la première mi-temps avec Faure et Mas en piliers. Il faut par contre prendre un troisième pilier qui soit avant tout un droitier ou du moins qui ait des références mondiales à ce poste. Bien sûr le favori c'est Jean-Baptiste Poux qui aurait dû démarrer en Ecosse. Sinon c'est peut-être un peu tôt pour Sylvain Marconnet à moins que le choix ne se porte sur Boyoud, Iguiniz ou Domingo ce qui serait quand même risqué pour ce match face à l'Angleterre. En deuxième ligne, il faut certainement étoffer au côté de Lionel Nallet. Si les entraîneurs veulent tester de nouveaux joueurs, Millo-Chluski par exemple présente les garanties du haut niveau grâce à son expérience de la Coupe d'Europe et puis il connaît bien le jeu prôné par les entraîneurs.


Le salut doit-il passer par le jeu de manière permanente, comme le réclament les entraîneurs qui pensent que l'équipe a sombré parce qu'elle a refusé de jouer? Le XV de France est est-il capable ?
Le problème de ce type de jeu c'est bien sûr qu'il est hyper exigeant pour les organismes et qu'il faut être capable de dominer son adversaire à ce niveau ou au moins de ne pas subir. Ceci à la fois pour gagner les ballons qui permettent de marquer et pour prendre de vitesse l'adversaire. Mais le souci, c'est qu'au niveau international, face aux meilleures équipes, il paraît difficile de toujours dominer. C'est ce qui explique que ce qui fait la force de l'équipe de France peut se retourner contre elle si à un moment elle se brûle les ailes à trop jouer. Les Irlandais en début de match ont tenté de priver les français de ballon, ils n'y ont pas réussi car ils ne maîtrisent pas actuellement leur jeu mais, par contre, ils ont failli profiter de la baisse physique de leur adversaire pour l'emporter en fin de match. Ils faut que les entraîneurs persévèrent dans leurs options de jeu en s'appuyant sur le point fort de cette équipe, son trio arrière, mais il faut aussi qu'ils rééquilibrent leurs forces en renforçant le pack car sinon, face aux meilleurs, ils risquent de devoir passer le match sans le ballon.


L'équipe d'Angleterre se profile dans quinze jours, doit-on craindre des Anglais dans le doute ?
Pour le moment c'est sûr que l'Angleterre est un géant de papier. Il est certain pourtant qu'elle se doit de réagir et le match contre la France arrive au bon moment pour cela ! Son cinq de devant est lourd et performant, ce qui peut nous poser d'énormes problèmes. Par contre sa troisième ligne a manqué de perforation contre l'Italie et sa charnière pose plus de problèmes qu'elle n'amène de solutions à son équipe. Seule la vitesse de Sackey et Balshaw m'a paru intéressante mais comme ils ne s'en servent presque jamais, de toute façon... L'important pour l'équipe de France est de rééquilibrer devant justement pour jouer l'Angleterre car je pense que Brian Ashton va persévérer dans l'erreur et garder son ossature vieillissante et sans imagination mais solide au combat.

Dans le Top 14, Toulouse s'envole et ne semble pas trop souffrir de l'absence des internationaux. Le Stade est -il au dessus du lot ?
En ce moment, c'est certain que Toulouse m'étonne. C'est à croire qu'ils ne se sont pas aperçus que l'équipe de France joue avec certains de leurs joueurs. Si le Stade passe l'obstacle Perpignan à domicile, ils seront quasiment sûrs de rester premiers jusqu'à la fin du Tournoi, un sacré exploit sans Clerc-Heymans notamment. Après, par rapport à votre question, je ne crois pas, malheureusement, qu'il soit possible de faire une saison totale sans connaître un passage à vide à un moment ou à un autre. Souhaitons donc aux Toulousains de me faire mentir car si cela leur arrive, ce sera obligatoirement au plus mauvais moment.

Le trou est fait, en tête comme en bas de classement. Le championnat est-il déjà joué ?
Attendons la semaine prochaine pour se prononcer. Si Biarritz gagne à Montpellier, Perpignan perd à Toulouse et Dax perd à domicile contre Castres, effectivement on pourra alors dire que le fossé se creuse de manière irrémédiable pour la qualification pour les demi-finales, Perpignan restant malgré tout le dernier mince espoir d'aller chercher les 4 premiers, et pour les 2 places de la descente. Néanmoins, même si cela arrivait, il resterait une formidable bataille pour la qualification pour la Coupe d'Europe entre Montauban, Montpellier, Perpignan, Bourgoin, Brive et pourquoi pas Castres. Mais je crois qu'il y aura des surprises la semaine prochaine et que l'on gardera de l'incertitude encore pour un moment dans ce Top14.

Propos recueillis par Aymeric MARCHAL

Quelle mouche a donc piqué Bénézech? Pourquoi tant de haine vis à vis des anglais?
Enfin bon, puisqu'Ashton va persévérer dans "l'erreur"...