" Entraîner est un travail collectif"
On parle souvent de petite mort lorsqu’un joueur arrête sa carrière. Chez un entraîneur ?
Elle est pire, c’est une grande mort. On a du ressentiment… Je me sens encore capable d’entraîner, je me sens vert, mais je sais qu’il faut autour de soi un gros encadrement. Quitter le terrain, c’est d’autant plus dur que moins on entraîne, plus on a des idées sur l’entraînement.
À Auch, certains souhaitent votre retour. Qu’en pensez-vous ?
Le Gers est mon pays, j’y suis attaché, enraciné. Tous les lundis, je quitte systématiquement le Lot-et-Garonne pour rejoindre le Gers. Mais revenir à Auch, au club, c’est autre chose. Je me plais à Agen. Sur le plan du rugby, le plaisir est quotidien, le SUA est un club très vivant, beaucoup plus vivant qu’Auch.
Qu’aimez-vous dans la formation ?
D’abord le contact avec les jeunes. Et puis, j’ai autour de moi un groupe d’adultes très fort, avec qui je m’entends bien. Un cas précis : tout le monde savait qu’entre Gelez, joueur, et moi, entraîneur, les relations n’étaient pas, disons, excellentes. Mais entre Gelez, entraîneur des Espoirs, et moi, les rapports sont riches. Dimanche, lorsqu’il a quitté le terrain, il est venu s’asseoir à côté de moi ; on n’a pas parlé de la fin du match de la première qu’on regardait mais du match que les Espoirs avaient réalisé en lever de rideau. Mon poste m’a rapproché de beaucoup de gens.
Les championnats jeunes débutent ce week-end. Après les résultats exceptionnels du printemps dernier, qu’attendez-vous cette saison ?
Il faut savoir, bien sûr, gagner des matches mais il y a aussi la formation des joueurs sous notre responsabilité. Il faut d’abord les faire jouer — et du mieux possible — car on ne progresse pas sans jouer. Ce n’est pas en lui accordant quatre ou cinq minutes de jeu qu’un joueur peut progresser. Il faut ensuite essayer de gagner des matches — c’est toujours important pour le moral. On a aussi un titre à défendre en Crabos, on a une demi-finale en Reichels, on va essayer de faire aussi bien, on sait que ce sera très dur en Espoirs, notre équipe est extrêmement jeune et numériquement pas suffisamment importante. Le premier objectif est toutefois d’essayer d’avoir le maximum de joueurs qui opèrent en équipe première. Maintenant, quelqu’un à respecter en rugby, est le tardif. Le précoce, la jeune star de 14 ou 15 ans, échoue car, dans la difficulté, elle ne sait pas comment réagir alors que le tardif s’est déjà posé des questions. Il est habitué à la difficulté. C’est le cas de Barcella.
Qu’est-ce que la formation agenaise propose de différents par rapport aux autres ?
Nous avons des éducateurs très attachés au jeu à l’agenaise. Le maître de ce jeu à l’agenaise est Henri Cazaubon. Il est la personne la plus représentative de ce jeu à l’agenaise. D’abord parce qu’il a évolué dans ce club et y a tenu tous les postes, joueur et entraîneur. Ce jeu à l’agenaise est la volonté de pratiquer un jeu très complet avec comme base d’entraînement ce qu’on appelle le mouvement général en rugby.
Mais former, pour moi, ce n’est pas seulement former des joueurs pros. J’estime que c’est aussi trouver des arbitres, des dirigeants, des entraîneurs et même des supporteurs. Former, c’est apprendre à respecter les autres. Le rugby, dit-on, est l’école de la vie. Je suis tout à fait d’accord, tout en sachant que dans la vie, comme en rugby, il y a des faux rebonds, des caprices, des choses que tu n’attends pas ; le rugby doit te préparer à rencontrer de telles difficultés.
Voilà pourquoi le rugby est formidable école de la solidarité mais aussi, surtout, une école de l’humilité. C’est pour ça aussi que j’insiste beaucoup sur les rapports avec les autres clubs du Périgord-Agenais, c’est pour ça que nous avons été à Villefranche-du-Queyran, à Bon-Encontre, à Buzet, c’est pour ça qu’on ira à Penne et dans d’autres endroits. Les joueurs qui composent aujourd’hui l’équipe de France ont tous débuté dans de petits clubs. Chez nous : Monribot (Lalinde), Edmond-Samuel (Villeneuve), Carabignac (Pont-du-Casse), Petre (Verdun), Guitoune (Vierzon), Bales (Fumel), Lamoulie (Casteljaloux), les exemples sont multiples. L’inconvénient d’être au SUA est de se prendre très vite pour une star et, ça, je ne le veux pas. Je veux que les jeunes restent humbles, qu’ils respectent ceux qui jouent au Jasmin, à Aiguillon, à Nérac. L’autre jour, nous avons été à Villefranche-du-Queyran, c’était formidable. On y retrouve les vraies racines du rugby. Le vrai rugby n’est pas le rugby pro. Le rugby pro, ce sont les paillettes, la lumière. Voilà pourquoi je ne supporte pas l’entraîneur qui dit j’ai formé un tel ou un tel, non. La formation, ce n’est pas un entraîneur. Il faut passer par plusieurs entraîneurs avec des méthodes différentes, des caractères différents, avec des façons différentes. Il n’est pas formateur d’avoir le même entraîneur des minimes à l’équipe I. Chaque formateur apporte quelque chose. Entraîner est un travail collectif.
Comment casser l’image de club prédateur qui colle à la peau du SUA ?
Il faut se parler, se connaître, se rencontrer, dire franchement qu’on a envie de prendre tel ou tel joueur et, surtout, choisir le moment. Un exemple : Lorsque nous avons eu notre journée à Villefranche-du-Queyran, j’ai remarqué deux secondes lignes, superbes, juniors, bons ; des gamins pas insensibles à une venue au SU Agen… Là-bas, j’étais avec quatre ou cinq éducateurs du SUA. Les deux jeunes leur ont bien entendu crevé les yeux. Je leur ai simplement dit: on ne va pas prendre, le 2 septembre, la seconde ligne des juniors de Villefranche. Il est admirable de tenir un club dans un petit village comme ça, avoir des juniors, des cadets et toi tu arrives alors que ta saison a commencé, des gens qui te font manger, qui t’accueillent, etc., et toi tu leur dis : on vient vous prendre les deux secondes lignes… On met une équipe par terre, ce n’est pas notre intérêt. Le SUA sera fort, s’il a un environnement fort.
(1) Au cours de notre entretien, Henry Broncan a beaucoup souligné le rôle des commissions au SUA (médicale, scolaire, sociale, etc.) Elles feront l’objet d’articles au cours de la saison.
Bertrand Chomeil